Aujourd’hui, nous sommes en compagnie de Alexandre de Vogüé, co-propriétaire du château de Vaux-le-Vicomte. Il a repris, avec son frère, Jean-Charles la direction du domaine en 2012, Ascanio les rejoindra en 2015. Ils font partie de la cinquième génération à assurer la gestion du domaine.
Dans cette discussion, Alexandre de Vogüé répond aux différentes questions posées sur Nicolas de Fouquet, sur le domaine de Vaux-le-Vicomte et sur ses souvenirs. Il nous dévoile son avis, ses connaissances et nous dévoile la réalité face aux mythes de Nicolas Fouquet.
La chute de Nicolas Fouquet
L’arrestation
Le 5 septembre 1661, jour des 23 ans de Louis XIV, Nicolas Fouquet est arrêté par d’Artagnan.
Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Etait-ce lié à la grandiose fête donnée par le surintendant Fouquet à Vaux-le-Vicomte pour le roi ?
Auria : Le mythe dit que la chute de Fouquet est née lors de sa grandiose fête du 17 août 1661. Le roi, Louis XIV, en avait été si jaloux qu’il en avait décidé à cet instant de sa perte. Mais quelle est la vérité ?
Alexandre de Vogüé :
Une amitié entre le roi et le surintendant
La véritable histoire de cette chute est née bien avant la fameuse fête de Vaux-le-Vicomte. Lors du chantier, le roi était déjà venu deux fois à Vaux-le-Vicomte. Il connaissait l’existence de ce projet. La relation qui liait Louis XIV et Fouquet était de l’amitié. Fouquet avait prouvé de nombreuses fois sa fidélité au roi, notamment lors de la fronde, où il le protègera. C’était également une relation de supériorité. Ils avaient plus de 20 ans de différence. Par l’âge entre ces deux hommes, Fouquet aurait pu être son père.
Mort du Cardinal – 9 mars 1661
Mazarin avait même gratifié Fouquet de ministre des finances. Cependant, sur son lit de mort c’est Colbert qu’il recommande au roi :
« Je vous dois tout, Sire, dit le ministre, mais je crois m’acquitter en quelque sorte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert. »
Mazarin ne mentionne en aucun cas Fouquet.
Deux jours après la mort du cardinal, le 9 mars 1661, Louis XIV réunit les principaux ministres lors d’un Conseil et y dit :
« […] jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le cardinal ; il est temps que je les gouverne moi-même… ». Le Roi-Soleil enchaîne par la suite « […] je vous défends de rien signer, pas une sauvegarde ni passeport, sans mon ordre, de me rendre compte chaque jour à moi-même et de ne favoriser personne dans vos rôles du mois. Et vous, M. le Surintendant, je vous ai expliqué mes volontés ; je vous prie de vous servir de Colbert, que feu M. le Cardinal m’a recommandé. »
C’est le début de l’absolutisme.
Fouquet n’y a pas cru un instant. Jusqu’à la mort du cardinal Mazarin, Louis XIV n’avait montré de sa personnalité qu’un attrait pour le jeu, la chasse, les danses et les femmes. Le surintendant s’était dit que le roi ne tiendrait jamais longtemps seul et qu’il sera prêt le jour où Louis XIV le demanderait.
Le complot de Colbert et Louis XIV – Dès Mai 1661
C’est à partir de mai 1661, que le roi et Colbert décident de comploter contre Fouquet. Le Roi-Soleil désire devenir le roi absolu et faire taire les ambitieux du royaume. Colbert n’appréciait pas Fouquet, il voulait grandir. Il fera passer Fouquet pour le mauvais, qu’il n’était pas si différent des puissants du royaume qui avaient voulu faire basculer le roi. Colbert fera en sorte d’avoir les preuves nécessaires pour accuser Fouquet : les vols, Belle-Île qui était armée…
Colbert demandera également à Fouquet de vendre sa charge pour 1 million. Fouquet, qui était dévoué au roi, entier auprès de son roi, ne pensait pas que cela aurait pu se jouer contre lui-même, accepta. Tout ce qu’il faisait, cela était pour le service du royaume, pour le profit du roi. Durant la fameuse soirée du 17 août 1661, Il avait même proposé (au premier degré) d’offrir Vaux-le-Vicomte au roi. Ainsi, quand le roi lui demande de vendre sa charge, il dit oui immédiatement.
La fête du 17 août 1661 aura conforté, une fois de plus, le choix de Louis XIV d’écarter/d’éliminer Fouquet.
L’aveuglement
Nicolas Fouquet était entouré de nombreuses personnes influentes, certaines lui voulaient du bien et d’autres moins. Il a été averti, notamment, par Mme de Sévigné du mal qui se présageait pour le surintendant. Pourquoi ne les a-t-il pas écoutés ?
Auria : Fouquet possédait de nombreuses qualités dont une certaine intelligence, qui lui permettait d’établir des liens et de progresser socialement/professionnellement. Il comprenait le fonctionnement de la Cour. Egalement, il était sur ses gardes, sauf à ce moment crucial de sa vie où il les a baissés. Comment a-t-il pu s’aveugler ?
Alexandre de Vogüé :
Pourquoi Nicolas Fouquet a été aussi naïf ? Pourquoi s’est-il rendu aveugle jusqu’au dernier moment, sourd aux conseils de ses amis, aux billets que Mme de Sévigné lui avait glissé dans la poche lors de la soirée du 17 août ?
Selon les historiens, il était ivre de sa propre ambition. Plus rien ne pouvait lui arriver, il était l’ami du roi, qui lui avait même offert une forêt entière pour la plantation de son futur jardin. Fouquet était sûr de son coup et certain de sa position amicale avec Louis XIV.
Fouquet était un ami proche d’Anne d’Autriche, la reine mère. Il lui versait sa pension. Le surintendant était également l’ami du cardinal Mazarin, à qui il rendait de nombreux services.
Fouquet était, ainsi, proche des puissants du royaume : le roi, la reine mère et le cardinal. Son seul mal aurait été de croire que le roi lui aurait donné son amitié à vie et de s’être pensé trop indispensable à Sa Majesté.
Nicolas Fouquet et l’art
Le surintendant savait s’entourer des bonnes personnes et il fut le mécène, le protecteur de nombreux grands artistes. Ainsi, pour la soirée du 17 août à Vaux-le-Vicomte, il réunit, entre autres, Molière (théâtre), Lully (musique), Le Brun (peinture)…
Les trois LE
Auria : Ceux que l’on nomme les « trois Le » sont : Le Vau (architecture), Le Brun (peinture) et Le Nôtre (jardins). Comment les a-t-il trouvés ?
Alexandre de Vogüé : Il existe peu d’information sur ce sujet. Cependant, on imagine son ambition de faire construire la plus belle demeure de France et à se faire entourer des meilleurs. Des artisans qui étaient déjà connus pour leur savoir-faire. Le Nôtre et Le Brun se sont connus lorsqu’ils apprenaient la peinture dans l’atelier de Simon Vouet. Les trois Le avaient déjà travaillé, ensemble, deux fois : à Vincennes et au château de Raincy.
Il était évident que le roi allait les utiliser car ils s’imposaient d’eux-mêmes.
La préférence de Fouquet : les artistes italiens
Auria : Pourquoi cette passion pour les arts italiens ? Peintures, plafonds, statues…
Alexandre de Vogüé : Fouquet envoyait son frère, Basile, faire ses achats à Rome. Il rencontrait les artistes, tels que Véronèse, Poussin… et négociait pour faire transporter les œuvres de Rome en France.
L’influence de Mazarin fut gigantesque. Il avait de l’admiration pour ce cardinal, d’origine italienne. On connaît les moyens dont bénéficiait Mazarin pour sa collection d’art. Certains historiens font des parallèles sur ce sujet.
Un château voulu en pierres et non en briques
Auria : Pourquoi Fouquet a insisté pour que cela soit de la pierre et non de la brique ?
Alexandre de Vogüé : Dans la galerie d’architecture du château, des représentations du château y sont partagées et vous y verrez des élévations faites par Le Vau sur la façade nord avec de la brique.
Ainsi, Fouquet accepte cette proposition de créer son château avec de la brique. Cependant, il reviendra sur sa décision.
La brique est un élément, qui n’est pas assez noble. Il est trop symptomatique de l’époque précédente, Louis XIII. Il réservera la brique pour les communs et la pierre pour le château. Cela permet d’établir une hiérarchie entre le château (noblesse) et les communs. La pierre permet, également, d’accentuer sur la nouveauté, l’innovation.
Qui est Alexandre de Vogüé
Alexandre et Vaux le Vicomte
Auria : Quel est votre meilleur souvenir de jeunesse dans le château ?
Alexandre de Vogüé : Avec ses frères, ils habitaient déjà dans les communs et attendaient la fin du circuit de visite pour aller jouer à cache-cache dans les pièces du château, à faire des feux, des cabanes, des courses de vélo dans le jardin. Vaux-le-Vicomte fut une gigantesque cour de récréation. Nous ne nous rendions pas compte à l’époque de la chance que nous avions d’être dans ce domaine.
Votre rapport à la nature
J’ai été guide de haute montagne. Maintenant, j’ai trouvé un équilibre entre Vaux-le-Vicomte et la montagne. J’y retourne très régulièrement, notamment en hiver. Ma passion pour la montagne reste intacte.
A Paris, mon endroit préféré est la Seine. C’est un élément de la nature qui reste indélébile.
Quel est votre livre préféré :
342 heures dans les Grandes Jorasses de René Desmaison
Et à quoi l’associez-vous
- A une boisson : eau-de-vie de poire
- A une époque (en-dehors de celle du livre) : Le 17ème siècle
- A une fleur : un edelweiss, une fleur de montagne qu’on ne trouve pas facilement